La Lune, ses cratères, ses aliens et ses bases secrètes nazies


Côté face, des théories du complot presque banales. Selon Silvano Trotta, devenu lors de la crise du Covid-19 un des conspirationnistes les plus en vue, les vaccins tueraient, le Covid aurait été planifié, et, bien sûr, la NASA aurait menti et n’aurait jamais envoyé d’astronautes sur la Lune. Côté pile, une thèse qui lui vaut d’être raillé jusqu’au sein de la complosphère : avant la pandémie, il soutenait que la Lune serait « creuse », artificielle, et « habitée par des humanoïdes capables de remonter le fil télépathique ».

Alors que la NASA veut retourner sur la Lune, en lançant la navette Artemis mardi 27 septembre, après plusieurs reports, ces théories folkloriques ne sont pas si dépassées qu’on voudrait le croire. D’autant que sur les groupes Telegram conspirationnistes, gonflés de nouvelles recrues attirées lors de la crise sanitaire, l’intérêt pour les discours antivaccins s’essouffle. « Petit à petit, observe Sylvain Cavalier, dit “Debunker des étoiles”, qui scrute les sphères conspirationnistes sur Internet, les théoriciens du complot se mettent à reparler de leurs vieilles marottes, et la Lune en fait partie. »

Lire le décryptage : Mission Artemis : les hommes sur la Lune, au cœur des théories du complot depuis cinquante ans

Depuis la pandémie, de nombreux observateurs s’inquiètent d’un important retour du new age, ce mouvement ésotérique né dans les années 1960 qui a engendré des récits ubuesques concernant la Lune et largement influencé le complotisme moderne dans sa version la plus aiguë. « On peut avoir des personnes qui pensent à la fois que la Terre est plate, que la Lune est creuse, que des reptiliens ont des bases arrière nazies sur la face cachée de la lune où ils mettent des enfants en esclavage. Cela peut aller très loin », observe Romy Sauvayre, sociologue des croyances au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

La Lune creuse, classique de la littérature de SF

Comment peut-on arriver à adhérer à de telles coquecigrues ? Comme souvent, la science-fiction a pavé la voie : dès 1901, H. G. Wells explorait l’idée de sélénites insectoïdes sublunaires dans son roman Les Premiers Hommes dans la Lune. L’année suivante, Georges Méliès mettait en scène une civilisation humanoïde cachée sous la croûte du satellite dans Le Voyage dans la Lune.

« Il y a des va-et-vient permanents entre le réel et la science-fiction », rappelle Emmanuel Kreis, historien du conspirationnisme au CNRS et coauteur de l’ouvrage Le Complot cosmique. Théorie du complot, ovnis, théosophie et extrémisme politique (Arché, 2010). Nées à une période où les connaissances astronomiques étaient moindres, ces fictions ont enfanté des stéréotypes durables.

Mais c’est une chose d’imaginer une Lune creuse peuplée, et une autre d’y croire. Or certaines thèses scientifiques anciennes et aventureuses ont nourri cette espérance. En 1824, trompé par des crêtes géologiques aux arêtes droites, le très sérieux astronome allemand Franz von Gruithuisen affirmait ainsi avoir découvert au télescope une ville extraterrestre sélénite, qu’il baptise Wallwerk. Elle inspirera les tenants d’une civilisation cachée sur la Lune. « Les croyances sont bercées par l’imaginaire fantastique, et se consolident au contact de découvertes scientifiques », résume Romy Sauvayre.

Surtout, la thèse d’un astre creux est spectaculairement relancée à la fin des années 1950 par l’astrophysicien russe Iossif Chklovski. Pour expliquer la vitesse intrigante de Phobos, un satellite de Mars, il en déduit que sa structure est creuse, et l’astre possiblement artificiel. Fondée sur une modélisation mathématique erronée, sa thèse est vite démentie, mais l’idée d’un corps céleste créé par une entité inconnue enthousiasme certains scientifiques et citoyens.

En 1970, Michael Vasin et Alexander Shcherbakov, membres de l’Académie soviétique des sciences, avancent dans le magazine Sputnik que la Lune est elle-même un vaisseau spatial conçu par une race extraterrestre. L’hypothèse inspirera Hollywood, avec l’étoile noire de Star Wars, mais aussi tout un nouveau courant spirituel en quête de rencontre avec des êtres venus d’ailleurs.

L’ère des « pères de la Lune »

A partir des années 1970, un vent d’optimisme gagne l’Occident : nous ne serions peut-être pas seuls, et l’humanité serait à l’aube d’un nouvel âge – new age, en anglais, nom donné à ce mouvement cosmico-mystique. Il réinterprète connaissances astronomiques et religions orientales à l’aune des croyances de la Société théosophique. Cette doctrine ésotérique héritée de la fin du XIXe siècle suppose l’existence de sept types d’ancêtres cosmiques de l’humanité, tels qu’hyperboréens, atlantes, et aryens, issus de sept « seigneurs de la Lune », ou « pères de la Lune », dont descendraient les humains.

« Ce qui intéresse alors, c’est le merveilleux, que les extraterrestres existent, nous aient apporté la technologie »

Pour les tenants de cette croyance, il s’agit d’entrer en communication avec ces êtres supérieurs par la vibration et la pensée. « Ce qui intéresse alors, c’est le merveilleux, que les extraterrestres existent, nous aient apporté la technologie, et que l’on entre bientôt en contact avec eux, resitue Emmanuel Kreis. [Le gourou] Raël est d’une certaine façon l’incarnation finale de cette période. »

Mais cette représentation du monde a aussi séduit un authentique voyageur spatial. Le très religieux astronaute Edgar Dean Mitchell, devenu en 1971 le sixième homme à poser le pied sur la Lune, a eu l’épiphanie de « la puissance de la divinité » lors de son retour sur Terre. Depuis, il s’est fait jusqu’à sa mort l’ambassadeur de déités aliens attendant l’élévation de l’homme.

Cette mythologie a également inspiré la théorie des anciens astronautes, selon laquelle les grandes constructions des civilisations antiques ont été offertes par une race extraterrestre avancée. Selon les versions, elle nous attendrait sur une autre planète, ou sur le satellite terrestre.

Le virage conspirationniste

A partir de la fin des années 1980, les douces rêveries new age se teintent de discours plus sombres. La promesse déçue d’un nouvel âge laisse la place à la recherche de coupables qui l’auraient empêché. Une tonalité conspirationniste reprise par la série télévisée à succès X-Files, qui, sur un registre paranoïaque, évoque le deuil des extraterrestres qu’on nous cacherait. « On peut y voir le côté désenchanté du new age, estime Emmanuel Kreis. Silvano Trotta hérite un peu de cela. »

Cette vision sombre et ramasse-tout se diffuse dans les années 1990 puis 2000 à travers les livres du théoricien du complot britannique David Icke. « C’est quelqu’un de très pris au sérieux chez les conspirationnistes anglais, même à l’heure du Covid », assure Sylvain Cavalier. A ses yeux, la Lune, satellite artificiel, sert de poste d’observation aux reptiliens qui nous scrutent.

La branche nazie de la Lune

Dans certains cercles très restreints, la civilisation supérieure secrètement terrée sous la Lune n’aurait rien d’extraterrestre : il ne s’agirait rien de moins que du IVe Reich. L’argumentaire s’appuie sur des faits historiques réinterprétés. En 1944, un constructeur allemand donne naissance à un prototype d’avion à ailes circulaires, qui n’a jamais réussi aucun vol, mais est comparé, vu du dessous, à une soucoupe volante. Durant la seconde guerre mondiale, des pilotes de l’air de plusieurs armées rapportent avoir vu des boules de lumière dans le ciel, qu’ils interprètent comme des chasseurs fantômes. Et si Hitler et son armée étaient partis en soucoupe se réfugier sur la Lune ?

Le romancier Robert Heinlein s’amusera de cette thèse antihistorique en 1947, dans Rocket Ship Galileo (non traduit). Il ne s’agit alors que de science-fiction, puis d’ésotérisme fourre-tout, dans Le Matin des magiciens, de Pauwels et Bergier, en 1960. « Cette mythologie ne réhabilite pas les nazis, précise Emmanuel Kreis. Elle s’inscrit plutôt dans une réinterprétation merveilleuse de l’histoire, et dans un projet littéraire, le réalisme fantastique. »

Les hauts dignitaires nazis auraient fui en 1945 en soucoupes volantes pour aller se réfugier dans des bases lunaires

Mais des auteurs néonazis emprunts d’ésotérisme new age finissent par s’en emparer. En 1978, dans El Cordon dorado : Hitlerismo esoteérico (Le Fil doré : Hitler ésotérique), le chilien Miguel Serrano écrit que les hauts dignitaires nazis auraient fui en 1945 en soucoupes volantes, appelées V7, depuis l’Arctique, pour aller se réfugier dans des bases lunaires. Un récit pris très au sérieux par Jean-Claude Monet, alias « Karl Thor », fondateur en 1984 de l’U-Xul-Klub, un groupuscule sectaire mêlant ésotérisme, ufologie et néonazisme.

« Cette théorie reste toutefois ultraminoritaire », rassure Sylvain Cavalier. Elle a été caricaturée dans le film Iron Sky, en 2012, et sa suite Iron Sky 2, en 2019. Mais on le sait désormais, le complotisme new age n’est jamais loin de la fiction fantastique : il en est le satellite naturel.



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